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lue dans la depeche de kabylie
par le capitaine Carette
Le destin tumultueux de la cité numide
Parmi les voyageurs-soldats qui accompagnèrent les troupes françaises dans leur conquête de l?Algérie, le capitaine de génie Carette est considéré comme un témoin privilégié.
Dans un rapport paru en 1848 sous l?intitulé : L?Algérie et les États tripolitains (réédité par les éditions Bouslama-Tunis en 1980), il présenta la monographie de l?Algérie dans ses moindres détails : aspects physiques et spatiaux (relief, climat, hydrographie), économiques, humains, culturels et religieux. Il décrit la prise de Constantine en octobre 1837 avec force détails. Mais, avant de développer les plans d?attaque et les faits de la résistance constantinoise, il prit le soin d?offrir une carte de visite de la ville du Vieux Rocher.
Le site : entre rocs et falaises
C?est par ces mots que le capitaine Carette commence sa description de Constantine : "Il est difficile d?échapper à un sentiment mêlé d?étonnement, de respect, et presque d?effroi, lorsque, pour la première fois, l?on se trouve en face de cette ville étrange, de ce nid d?aigle, comme on l?a dit souvent, qui fut la capitale de la Numidie-royaume et de la Numidie-province, et dont la conquête a été pour la domination française elle-même un si puissant auxiliaire, un si utile enseignement. La ville de Constantine dessine une espèce de parallélogramme dont les quatre angles regardent les quatre points cardinaux. Les indigènes la comparent à un burnous déployé et assignent à la pointe sud, occupée par la Casbah, la place du capuchon. La face dirigée au sud-ouest est la seule partie de la ville que la nature ait rendue abordable.
La face nord-ouest est bordée par un talus haut et raide. De ce côté, la ville domine la vallée du Rhumel dont l??il suit le cours jusqu?à six lieues environ. Les deux autres faces sont couvertes par un incroyable fossé, encaissé entre deux murailles de roches à pic dont la hauteur moyenne est de cent dix mètres". Suite à cette configuration qu?il qualifie d?étrange, le capitaine Carette cherche à justifier l?ancienne appellation que les Arabes ont donnée à la ville, à savoir ville aérienne, et la dénomination antique de Cirta qui voulait dire en phénicien taillé dans le pic. "C?est au fond de ce précipice que le Rhumel, réuni à Boumerzoug [descendant du mont Guerioun, au nord de Aïn Kercha,NDLR], roule en cascades ses eaux torrentueuses. Il entre au pied de la pointe sud et sort au pied de la pointe nord. La porte naturelle par laquelle la rivière s?engouffre dans le ravin n?a pas plus de cinq à six mètres de largeur sur une hauteur de quarante mètres.
La porte de sortie présente une de quarante mètres sur une élévation presque verticale de cent soixante-dix mètres. Parvenu à l?extrémité de son ravin, le Rhumel se précipite avec un horrible fracas d?une hauteur de soixante mètres et disparaît dans un nuage de poussière. Cette caractéristique imposante forme un des accidents les plus remarquables du sol de l?Algérie. Après avoir franchi la dernière cascade, le Rhumel, redevenu calme, entre dans une belle vallée bordée de magnifiques jardins d?orangers, de grenadiers, de cerisiers, qu?il arrose et vivifie".
L?un des aspects de la ville qui frappera par la suite le capitaine de génie était le reste de la civilisation berbéro-romaine dans cette cité qui était la capitale de la Numidie. Il signalera l?aqueduc romain situé au sud de la ville à environ 1,5 km de la confluence du Rhumel-Boumerzoug. Il est constitué de six arceaux en pierre de taille dont le plus élevé dépasse vingt mètres de hauteur.
Cet aqueduc conduisait les eaux issues de sources de Boumerzoug vers des grands bacs dont il reste des ruines sur les sommets de Koudiat-Ati. En bas de cette grande colline, se dessine la voie romaine qui conduisait jusqu?à Carthage (Tunis) dont la chaussée est faite de dalles parfaitement jointes. De même, les restes d?un théâtre antique fut mis au jour par les travaux de l?armée françaises qui, lors du déblaiement des lieux pour en faire une aire de dépôt de bois, découvrit des dallages hémisphériques. "Assis sur les gradins de pierres qui garnissaient l?intérieur de l?édifice, les spectateurs voyaient se dérouler devant leurs yeux, à côté de la scène, le cours capricieux du Rhumel, et au-dessus, les cimes bleuâtres des montagnes de Mila ; décoration imposante dont les bords, au coucher du soleil, s?animaient de reflets rougeâtres et présentaient l?image de volcans lointains", écrit Carette.
Au sujet de Sidi Mimoun, bordé sur ses flancs par Sidi Rached et Aouïnet El Foul, Carette dira que le monument est une voûte de construction romaine engagée sous le talus même qui borde le pied des remparts de la ville, "à peu près où Ben Aïssa accomplit le 13 octobre 1837 sa périlleuse évasion. Cette voûte protège contre les éboulements une source et un bassin d?eau thermale dont l?usage et la réputation se sont conservés jusqu?à nos jours". Les autochtones qui se baignaient dans cette source considéraient que ses eaux étaient salutaires.
Sous le pont d?El Kantra, construit en 1790 par Salah Bey, le capitaine Carette découvre les ruines d?un vieux pont romain. Mais le quartier le plus monumental de l?époque romaine, assure-t-il, est la Kasbah appelée à l?époque Le Capitole. C?est là que s?élevaient les temples consacrés aux divinités protectrices de la ville.
Au sujet des habitants de Constantine, Carette souligne que "la population indigène diffère par sa composition des autres villes d?Algérie. Elle ne renferme qu?un très petit nombre de Turcs et de Koulouglis, et pas de Maures. Elle se compose presque exclusivement de familles arabes ou berbères, venues de presque toutes les tribus de la province, et des israélites. Au 1er janvier 1847, elle était de 18 969 individus dont 15 054 musulmans, 552 nègres et 3 663 israélites. Après Alger, Constantine est, de beaucoup, la ville la plus peuplée de l?Algérie. Quant à la population européenne, son chiffre est de 1 919 individus dont 1 274 Français.
La prise de Constantine et l?esprit de résistance
Après les opérations qu?il a menées dans l?Oranie, le général Clauzel revient à Alger. Il se rend par la suite à Paris pour demander à l?Assemblée nationale de lui accorder les moyens nécessaires pour parachever la conquête de l?Algérie. Sur ce point, la conquête de Constantine lui parut d?un intérêt suprême aussi bien sur le plan stratégique que sur le plan psychologique. Il concentra ses moyens à Annaba et le chef d?escadron Yousouf, nommé le 21 janvier 1836, bey de Constantine par l?autorité militaire en remplacement de Ahmed Bey, organisa toute la logistique de cette expédition. Ce dernier mobilisa 450 mulets, chevaux et chameaux et des troupeaux de moutons enlevés aux tribus de Annaba. Le 29 octobre 1836 le duc de Nemours débarqua à Bône (Annaba) et, deux jours plus tard, le maréchal Clauzel vint en personne prendre le commandement du corps expéditionnaire qui comptait 7 410 hommes de troupes français et 1 356 Turcs et autochtones. L?ordre de marche fut arrêté et le maréchal donna ordre de départ.
Le 15 novembre, les troupes campèrent à Guelma. L?espoir d?une soumission facile de la population de Constantine fut miroité par le faux bey Yousouf.
Le gouverneur "était trompé sur les dispositions des tribus en faveur de notre bey. Et il comptait trouvait des secours de toutes sortes de la part de nos auxiliaires. On croyait que généralement notre armée n?aurait qu?à se montrer pour obtenir la soumission de la plupart des tribus et que, les autres, fatiguées de la tyrannie odieuse d?El Hadj Ahmed, garderaient une neutralité indifférente. (?) Mais, quand elle prit position, le 21 novembre 1836, sous les murs de Constantine, elle avait déjà supporté des torrents de pluie mêlés de grêle et de neige. Les bagages enfoncés dans une mer de boue n?avaient atteint le bivouac qu?avec les plus grandes difficultés. L?hiver qu?on avait cru jusque-là si doux en Afrique, s?annonça tout à coup avec des rigueurs inouïes. Le froid devenait de plus en plus vif et le pays était entièrement dépourvu de bois.
La position de Constantine, sur un rocher élevé, entouré par un Rhumel qui coule dans des ravins très profonds, n?était abordable que d?un seul côté. En reconnaissant ces obstacles dont on n?a pas pressenti toute la gravité, le maréchal Clauzel ne se sentit pas découragé. Bercé encore par les illusions que les promesses de notre bey avait fait naître dans son esprit, il espéra qu?une attaque vigoureuse déterminerait les partisans que nous avions dans la ville à agir et amener la reddition de la place. On apprit qu?El Hadj Ahmed avait quitté la ville et qu?il avait confié sa défense à son lieutnant Ben Aïssa, avec un corps de fantassins kabyles sous ses ordres." Dans la nuit du 23 au 24 novembre 1836, deux attaques furent dirigées simultanément contre deux portes de la ville, l?une commandée par le général Trézel, l?autre par le lieutenant-colonel Duvivier. Toutes les deux échouèrent et des dizaines d?officiers français furent tués. Les colonnes durent battre en retraite et retournèrent, blessées et humiliées, sur Guelma, puis sur Annaba.
Ce n?est qu?en octobre 1837, après la conclusion des Accords de la Tafna entre l?émir Abdelkader et le général Bugeaud, ratifiés le 30 mai 1837, que la deuxième expédition de Constantine fut enclenché. Le 17 juillet , un camp a été établi à Medjaz El Ahmar, près de Guelma, par le général Damrémont. Le 20 septembre, le bey El Hadj Ahmed attaqua le camp avec des troupes évaluées à 10 000 hommes. Après plusieurs jours et des échanges nourris de coups de feu, les éléments du bey se retirèrent.
Le 1er octobre, les troupes françaises à la tête desquelles se trouvait le duc de Nemours avancèrent sur Constantine qu?ils rallièrent le 6 octobre. Le capitaine Carette témoigne : "En se trouvant sur ces lieux où leurs camarades avaient essuyé de si terribles fatigues, nos soldats sentirent redoubler leurs ardeurs. On se mit à l?ouvrage avec un zèle que le mauvais temps ne put ralentir. Dans la journée du 9 octobre, trois batteries étaient armées sur le plateau de Mansourah et ouvrirent le feu. On établit ensuite une batterie de brèche à 400 m des murs de la ville du côté de la porte appelée Bab El Oued. Le 11, elle était achevée. Avant de commencer à battre en brèche, le gouverneur général envoya un parlementaire pour engager les habitants à se rendre. Le 12 seulement, on connut la réponse des assiégés qui refusaient à se capituler. Dans la nuit du 11 au 12, une nouvelle batterie a été construite à 150 m de la place. À huit heures et demie du matin, le général Damrémont, accompagné du duc de Nemours et de son chef d?État-major, se rendait au dépôt des tranchées pour y examiner les travaux de la nuit, quand il fut atteint d?un boulet dans le flanc gauche ; il tomba mort sans proférer une parole." Constantine ne sera prise, le 13 octobre 1837, qu?après que les troupes de El Hadj Ahmed Bey eurent tué le général Damrémont, le général Perreguax, le colonel Combes, les commandants Vieux et de Sérigny et des centaines d?autres officiers subalternes et soldats ennemis. En tout cas, le capitaine Carette témoigne d?une résistance inouïe développée par les populations de Constantine contre l?attaque de leur ville par l?armée française. Il faut dire que tous les moyens humains et matériels que l?armée d?occupation possédait au Centre et à l?Ouest de l?Algérie, en plus des renforts qui arrivèrent de la métropole, étaient mobilisés pour le dernier assaut contre Constantine.
Amar Naït Messaoud
iguerifri@yahoo.fr
Source :
?L?Algérie
et les États tripolitains?? ?1848- Capitaine Carette Réédition
par Bouslama-Tunis en 1980
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Dernière modification le 28-11-2008 à 20:07:21
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